Les "squats" à l'épreuve du confinement

20 mars 2020

À Strasbourg, plus de 400 personnes sont actuellement logées dans des « squats », des bâtiments ouverts et aménagés clandestinement pour accueillir les familles les plus démunies. Dans ces bâtiments précaires, le confinement relève du défis pour les bénévoles comme pour les résidents. afin d’éviter que le virus n’atteigne ces personnes vulnérables, la Ville et les associations s’affairent à réduire le nombre d’occupants. Les premières familles devraient être déplacées dès demain matin vers des chambres d’hôtels du centre vill

Des résidents de l’Hôtel De la Rue tuent le temps dans leur logement

Des risques sanitaires importants

« Depuis l’annonce du confinement tout à changé ici » indique Lahcen, à la tête de l’organisation du squat Bugatti. 280 personnes vivent dans ce bâtiment squatté depuis plusieurs mois. « Heureusement, Médecin Du Monde nous a fourni très vite des masques, des gants et des produits d’hygiène » assure t-il. En revanche, le confinement s’est accompagné de la fermeture de la plupart des infrastructures publiques qui étaient essentielles aux habitants : les douches publiques, les centres d’aides et la plupart des associations humanitaires sont tout simplement fermées. « Je me retrouve avec 3 douches et 2 machines à laver pour plus de 300 personnes » explique Lahcen. Une telle promiscuité augmente inévitablement les risques de contagion des habitants : « c’est une véritable bombe à retardement, la maladie est peut-être déjà là » s’inquiète t-il. En cas de contamination, une quarantaine de lit de fortune est déjà prête pour accueillir le malade, dans une tente en face du bâtiment « Médecin Du Monde » sera prévenu instantanément et on a déjà reçu des consignes d’urgences à mettre en place » explique Lahcen.

Du côté de l’Hotel de la rue c’est le même constat : « J’ai reçu 500 exemplaires du formulaire de sortie dérogatoire, 50 gants et 50 petits savons à usage unique » s’indigne Edson, qui gère l’hôtel de la rue depuis son ouverture, « qu’est ce que je vais faire avec ça ?! ». Ce bâtiment situé au 91, route des romains compte aujourd’hui 150 habitants, dont de nombreuses personnes sensibles, certaines déjà malades. « Ici tout le monde essaye d’adopter les bons gestes pour lutter contre le coronavirus, mais nous avons besoin de produits d’hygiène ».

Les denrées alimentaires se raréfient

La petite épicerie solidaire de l’Hotel de la Rue est fermée

Pour nourrir les habitants des squats, les bénévoles comptaient habituellement sur les dons des nombreuses associations strasbourgeoises. La plupart de ces structures ont fermé depuis l’annonce du confinement et la ville prend le relais : « Nous recevons des provisions tous les deux jours ici et nous les redistribuons à nos habitants » explique Edson. Hier l’hôtel de la rue a reçu sa première livraison provenant de la Banque Alimentaire, « Après 36 heures de négociations » s’agace Edson. Chaque habitant de l’Hotel de la Rue a reçu 3 tomates ; 1 boîte de conserve ; 1 brique de lait ; 3 oignons ; 1 paquet de riz ; 1 paquet de pâtes ; 1 paquet de farine ; quelques carottes et quelques navets.Heureusement, des restaurateurs comme le Food Truck Au P’tit Sawyer nous ont apporté leurs invendus. Il y a aussi les citoyens qui sont très généreux ».

Au squat Bugatti les habitants reçoivent 2 repas par jours mais la plupart des habitants se déplacent pour trouver eux-mêmes de quoi manger, dans les associations encore ouvertes ou dans les supermarchés. « Ici, il faut dire que nous recevons une grande aide de la part de la communauté musulmane, depuis toujours » assure Lahcen. Aujourd’hui, une tonne de denrées alimentaire a été apporté par la maraude professionnelle du Service intégré d’accueil d’orientation (SIAO).

Les enfants déscolarisés

À l’hôtels de la Rue, les 4 bénévoles encore présents font la police pour maintenir confinés les enfants dont les écoles ont fermé. « Il y a un vrai souci d’inégalité entre nos enfants et ceux qui peuvent encore suivre les cours en ligne » s’inquiète Edson, « Ici il n’y a pas internet, tous les enfants sont coupés du monde scolaire ». D’ordinaire 100% des enfants enregistrés dans ces squats sont scolarisés, aujourd’hui ils sont sans moyen d’apprentissage. « On a déjà une salle de classe, il faudrait maintenant un ordinateur avec internet pour pouvoir projeter sur un écran les cours aux enfants » assure Edson « Ici, personne n’a les capacités pour les instruire correctement ». Idem pour le squat Bugatti d’Eckbolsheim, les enfants n’ont plus accès aux cours et s’ennuient, livrés à eux mêmes.

Un résident de l’Hotel de la Rue va travailler.

Des sorties inévitables

Les habitants n’ont pas d’autre choix que de sortir pour faire des courses. « C’est inévitable » constate Lahcen. Les associations encore présentes ne peuvent pas toutes se déplacer et les bénévoles s’organisent pour récupérer les dons à travers la ville. Les habitants sortent aussi pour échapper à une atmosphère pas toujours paisible au sein du squat : « Ici il y a des gens de toutes les affinités, cela peut rendre la cohabitation difficile » explique le gérant du squat Bugatti. Alors que l’hôtel de la rue bénéficie de la présence d’un vigile payé par la municipalité, au squat Bugatti ce sont les bénévoles qui assurent la sécurité et règlent les conflits.« Malgré tout, ces gens sont conscients des risques que représente l’épidémie, ils sont responsables et utilisent les masques et les gants que nous avons reçu » assure Lahcen. Mais son constat est clair : il faut séparer ces gens qui vivent dans une trop grande promiscuité, « Et qu’on ne me parle pas de gymnases ! » prévient-il, « il faut les séparer, pas les entasser ! Il y a des hôtels et des appartements vides, on le sait ! ».

La mairie prend des mesures

Marie-Dominique Dreyssé (EELV), l’adjointe au maire chargée des Solidarités, a annoncé à Rue 89 Strasbourg que des mesures seraient prises pour reloger les résidents les plus sensibles dans des chambres d’hôtel (article à lire ici). De plus, les douches publiques devraient ré-ouvrir très rapidement. Mme Dreyssé était cet après-midi sur place au 91, route des Romains pour organiser l’évacuation des personnes les plus sensibles. « Dès demain matin 8h30, 39 personnes seront déplacées vers l’Hôtel Rubis, rue des marchands » indique Edson suite à l’intervention de l’adjointe au maire hier « Ils sont heureux ». Au Squat Bugatti aucun relogement n’est encore annoncé : « Médecin du Monde est actuellement entrain de nous aider avec l’ARS pour placer toutes les personnes vulnérables, celles de plus de 50 ans » indique Lahcen. Mais une question subsiste : « Qu’est-ce que je vais faire des autres, de ceux qui continuent d’arriver ? »

Entre les enfants qui sortent pour tuer le temps et les adultes qui sillonnent la ville en quête de denrées alimentaires et de produits d’hygiène, le confinement n’est pas réellement appliqué dans les squats strasbourgeois. « Je ne peux pas forcer les gens à rester enfermés ici, ce n’est pas mon rôle » regrette Lahcen. Les résidents et les bénévoles gèrent cette situation toute nouvelle à leur manière mais c’est très dangereux. De nombreux habitants réfugiés dans ces squats sont vulnérables et luttent déjà contre d’autres maladies. Une propagations du Covid-19 dans l’une de ces structures pourrait avoir des conséquences catastrophiques. « Je m’inquiète » confie une jeune résidente du squat Gruber de 17 ans, « Je n’ai même pas tous mes vaccins ».

Si vous souhaitez venir en aide aux habitants des squats, contactez les par Facebook afin de convenir avec eux des modalités pratiques (ne vous rendez pas sur place directement) :

Alexandre MAHLER