La grosse crise des "métiers de la bouffe"
Apres les annonces récentes du Premier Ministre, les restaurateurs strasbourgeois espèrent pouvoir reprendre leurs activités à partir du 2 juin. Depuis le début de la pandémie, les pâtisseries, restaurants et bars sont tous fermés et les charges s’accumulent pour ces entrepreneurs qui font vivre la ville. Nous avons discuté avec 3 d’entre eux, pour comprendre quelles étaient leurs préoccupations actuelles.
« On va essayer de réouvrir vers le 11 Mai » espère Samuel Elizadeth qui travaille avec ses parents à la pâtisserie Suzanne.
La pâtisserie / restaurant / salon de thé est fermé depuis plus d’un mois maintenant, pour les 24 employés qui y travaillent habituellement, « c’est moralement compliqué » assure t-il. Avec les annonces faites par le Premier Ministre, l’espoir d’une réouverture au mois de juin est possible « mais je pense que ce sera plus tard » regrette t-il. Alors pour continuer d’être en contact avec sa clientèle, la pâtisserie Suzanne se réinvente et comme beaucoup, elle se met à la livraison. « Je pense qu’on va apprendre à travailler différemment et que les clients vont consommer différemment. » résume Samuel.
Du côté du restaurant Les Fines Gueules à deux pas de là, le chef Jacques Zimmermann fait le même constat : « il faut en profiter pour évoluer ». En à peine une semaine de confinement, le jeune chef avait déjà lancé un service de livraison de flam’s à domicile. « Je travaille à 90% avec les applications de livraison, il faut être réaliste, ces applications font survivre beaucoup de restaurants » explique Jacques. Sur le site internet de son restaurant, il a également développé une petite boutique de produits de la Vallée de Munster. « J’ai fait une sélection de produits, on en profite pour améliorer le site et ça permet de faire quelques ventes supplémentaires à la semaine ! » Explique t-il. Quotidiennement, il vend entre 40 et 50 tartes flambées en livraisons et avec les quelques commandes en ligne supplémentaires « on se stabilise financièrement depuis 2 semaines ». Avant le début de la crise, Les Fines Gueules affichaient complet régulièrement, depuis 3 mois.
Les bars sont eux aussi dans l’incertitude. Au O’Brien’s, le chef Ned (que vous connaissez pour ses chroniques dans la matinale de Talri) réfléchit lui aussi à développer un service de livraison. « On pourrait livrer des cocktails ! Je sais que ça se fait dans certains bars. » Pour les bars, la reprise s’annonce encore plus compliquée que pour les restaurateurs : « On a déjà perdu les beaux jours, on a aussi perdu la Coupe d’Europe de football, le déconfinement s’annonce pour juin mais je pense que ce sera encore plus long » regrette Ned « mais il faut que ça se fasse vite, d’ici 2 mois grand maximum ».
Une reprise, mais à quelles conditions ?
Tous s’accordent pour dire que la reprise se fera doucement, étape par étape. « Ça promet des choix compliqués » assure le chef Ned qui gère habituellement une équipe de 7 à 10 employés pour faire tourner le pub. La restauration, c’est traditionnellement l’endroit où l’on trouve des petits boulots étudiants ou des CDD qui permettent de faire la transition entre deux jobs.
Malheureusement, avec la crise économique actuelle, les plus précaires risquent de payer les pots cassés. « Mon équipe est actuellement faite pour faire tourner 80 couverts ; si avec les mesures de sécurité je ne peux servir que 40 couverts, qu’est-ce que je vais faire de mes extras ? » s’interroge Samuel de la pâtisserie / restaurant Suzanne. « C’est clair que les contrats les plus précaires seront les premiers dont on devra se passer » regrette le chef Ned, « Je pense aussi à tous mes amis saisonniers et aux petits producteurs avec qui on aime travailler ».
Même les fournisseurs « grossistes », comme le Marché-Gare sont passés en mode crise en ouvrant leurs portes aux particuliers « ça n’arrive jamais, c’est bien la preuve que tout le secteur est à l’agonie » constate Samuel, « d’ailleurs, chez METRO, les ventes des produits de packaging pour les livraisons ont beaucoup augmenté ». Pour ce qui est des conditions sanitaires que les gérants devront appliquer dans leurs salles, là encore personne n’en sait plus. « J’ai appelé une boîte spécialisée dans le plexiglas pour me renseigner, tout est en rupture de stock » explique Jacques Zimmermann.
« Et puis, au final, est-ce que les gens reviendront rapidement ? » s’interroge le chef Ned. En attendant, il reste en contact avec sa clientèle et ses habitués sur les réseaux sociaux : « on discute de cuisine et l’on élabore des recettes avec ce qui reste au fond du frigo, en ce moment les gens cuisinent ! ».
Les emprunts aidés, une fausse bonne idée ?
Pour venir en aide aux entreprises, l’Etat a rapidement mis en place des système d’aides. « On a bénéficié d’une réduction des impôts » explique Ned. Tous ses employés sont également en chômage partiel assuré par l’Etat « mais il ne faut pas oublier que le salaire n’est pas totalement couvert, passer de 1 500 à 1 000 euros par mois, c’est pas évident à long terme ! » L’Etat a également mis en place un système d’emprunts aidés pour les entreprises en cette période de crise. « Ça ne m’intéresse pas d’emprunter pour rembourser de la dette » explique Ned.
En revanche pour Samuel, les emprunts aidés peuvent servir, « notamment si c’est le seul moyen de financer les aménagement nécessaires à la réouverture ».
La situation reste floue à deux semaines du début du déconfinement. Pour les restaurateurs, l’enjeu sera double : il faudra réouvrir vite, et de manière à rattraper le retard qui s’accumule depuis début mars. La plupart des établissement cumulent les retards de loyers et les charges pèsent lourd sur ces entrepreneurs. Certaines rumeurs disent même que le marché de Noël pourrait être impacté par la pandémie. « Ce serait catastrophique car c’est justement ces évènements qui permettent de rattraper une mauvaise saison » explique Samuel Alizadeh. Ce qui est sûr c’est que la crise sanitaire va changer notre façon d’imaginer la restauration. « Imaginez les petites winstubs où les gens s’assoient tous côte à côte, il va falloir tout repenser » commante t-il.
Les 3 restaurateurs interrogés ont dors et déjà perdu plusieurs centaines de milliers d’euros chacun : « Cet argent là, on ne le reverra pas. Pour ça, il faudrait remonter le temps ».
Alexandre MAHLER