Quel avenir pour nos cinémas indépendants ?
Samedi 14 mars, Edouard Philippe, Premier ministre, annonce la fermeture des bars, restaurants et cinémas. Les cinémas, toujours fermés depuis et n’ayant aucune date de réouverture, restent dans le flou quant à l’avenir de leurs activités. Deux cinémas indépendants, Le Vox (Strasbourg) et Le Trèfle (Dorlisheim), racontent cette fermeture soudaine, les épreuves à affronter en vue d’une possible réouverture et le destin des films et tournages.
Fermer les portes au 7ème art
« Nous avons appris la fermeture dans les médias comme tout le monde. Le soir même à minuit il fallait que le cinéma n’accueille plus de public » rapporte Eva Letzgus, gérante du Trèfle. Pour tous les cinémas, cet arrêt précipité a été un choc. « Ça a été très violent, à aucun moment je ne m’y étais préparée », précise la directrice du Vox, Anita Hollaender. Les conditions sanitaires ne permettant pas la reprise de leurs activités au 11 mai, les cinémas restent fermés. Durant cette période, les salariés bénéficient du chômage partiel, une aide non négligeable, mais parfois insuffisante. Frédéric, salarié du Vox : « En temps normal, on compte pas mal sur des primes (responsabilité, confiserie,…) pour gagner plus mais maintenant on ne peut plus. Ça fait un peu mal ».
En parallèle, Strasbourg a annoncé une aide exceptionnelle de 60 000€ pour les cinémas indépendants de la ville. Des reports de charge et des prêts ont également pu être accordés. Malgré tout, la situation reste délicate au Vox : « On est plus sur des centaines de milliers d’euros nécessaires. Même si on n’a pas de clients, on a énormément de frais » informe Anita Hollaender. Pour Le Trèfle, qui ne bénéficie pas de l’aide de la ville, les charges s’accumulent « Habituellement on a l’avance de trésorerie des spectateurs. Maintenant le cinéma est fermé, il n’y a plus de billetterie mais toujours énormément de factures ».
L’ensemble des métiers du cinéma paralysé
Les cinémas n’ont pas été les seuls à subir la crise sanitaire. Les films restent dans les cartons et les tournages sont mis à l’arrêt (lire le report du tournage de « Astérix et Obélix » de Guillaume Canet). De nombreuses grosses sorties ont été repoussées à la fin d’année, voire à l’année prochaine. D’autres films, comme Pinocchio de Matteo Garrone, ont été directement poussés dans la case VOD. « C’était un film destiné au cinéma mais avec un tel coût que le distributeur ne pouvait pas se permettre d’attendre la sortie. C’est dommage parce que je trouve que c’est un film qui aurait mérité d’être vu sur grand écran » confie Eva Letzgus. D’autre part, les tournages à l’arrêt, notamment aux États-Unis, risquent d’entraîner une « pénurie » de film : « Il faut savoir qu’il y a un décalage au niveau de la pandémie entre les États-Unis et la France, cela entraînera forcement un décalage de reprise. On se retrouvera peut être avec beaucoup de sorties françaises et européennes mais ce n’est malheureusement pas elles qui génèrent le plus d’entrées », prévient la gérante du Vox. Concernant les films déjà tournés, tout l’enjeu pour les distributeurs sera de bien les échelonner afin d’éviter cette possible « pénurie » précise Frédéric : « Les studios vont devoir s’adapter dans chaque pays en fonction des sorties des autres. Ça va être un planning étalé, plusieurs blockbusters ne vont pas pouvoir sortir le même jour ».
L’épreuve de la réouverture
La réouverture des cinémas est semée d’embûches. Tant qu’une date commune de reprise n’est pas communiquée, les dates de sorties pour les films ne peuvent pas être totalement fixées. Si, comme envisagé, les cinémas ré-ouvrent vers la mi-juillet, des nouveaux blockbusters comme Mulan de Niki Caro (22 juillet) ou Wonder Woman de Patty Jenkins (12 août) sont déjà annoncés mais la plupart des films disponibles resteront néanmoins ceux déjà sortis avant le confinement et qui n’ont pas fait l’intégralité de leurs semaines d’exploitation. Cependant, pour attirer le public, ces grosses sorties sont essentielles : « C’est le serpent qui se mord la queue parce que si le public ne vient pas, les distributeurs ne vont pas sortir de film mais si les distributeurs ne sortent pas de film, le public ne viendra pas » développe Anita Hollaende.
Des mesures de distanciations réduisant la capacité des salles sont également envisagées: « Est-ce que les distributeurs vont prendre le risque de sortir des films cet été avec un potentiel de seulement 30 ou 40% de la fréquentation habituelle, est ce que ça vaut le coût ? Même nous on a déjà tellement de perte pendant le fermeture, on ne peut pas rouvrir pour trois spectateurs », déclare Eva Letzgus. L’important, pour permettre ces grosses sorties et la réouverture des cinémas, c’est de regagner la confiance du public, sortir de ce climat anxiogène (lire les premières réouvertures des cinémas en Chine n’attirent pas les foules) tout en appliquant des gestes barrières stricts (masques, distances, renouvellement de l’air, désinfection des espaces,…).
Le Trèfle envisage quelques séances drive-in (en plein air dans sa voiture), permettant d’éviter les contacts entre les gens tout en offrant une expérience « grand-écran ». Pour le Vox, Frederic est confiant : « On sait que la reprise va être longue, ça va se faire sous certaines conditions mais tout le monde est assez optimiste. Les gens sont malgré tout attachés au cinéma et tôt ou tard, ils reviendront ».
Margot GESIOT